Témoignage : Ce qu’on doit savoir sur le consentement et les handicaps
Les personnes à qui l’on a confié la responsabilité de s’occuper de moi doivent comprendre et respecter mes limites.
par Spencer Williams17 mai 2019,
L’article original a été publié sur VICE États-Unis.
En raison de la nature de mon handicap, il est inévitable qu’on me touche souvent : m’habiller, me brosser les dents ainsi que toutes sortes d’autres contacts physiques font partie de ma routine quotidienne. Sans communication constante, les limites peuvent facilement devenir floues, voire être franchies par un membre du personnel en un clin d’œil. J’ai une infirmité motrice cérébrale (IMC) et, comme je vis de façon autonome, j’embauche des auxiliaires qui m’aident dans mes tâches quotidiennes, et je fais appel à une agence pour avoir des auxiliaires de nuit. La plupart du temps, c’est très bien, mais récemment, j’ai été agressé sexuellement, deux fois, par des auxiliaires.
Une de ces deux agressions s’est produite alors que j’attendais l’arrivée d’un auxiliaire de jour. Je devais aller aux toilettes, alors j’ai appelé l’auxiliaire de nuit de service pour qu’il m’aide. Elle est venue dans ma chambre et, comme d’habitude, elle a tenu mon pénis avec ses mains pour le placer dans l’urinal. Par contre, constatant que j’avais une érection, elle a serré mon pénis et m’a vigoureusement masturbé. J’ai essayé de me libérer et je lui ai demandé d’arrêter, mais soit elle ne m’a pas compris, soit elle m’a volontairement ignoré jusqu’à ce que je sois sur le point de jouir.
Quand j’ai besoin d’aller aux toilettes, avoir un orgasme est la dernière chose dont j’ai envie. Je n’étais absolument pas excité. Je suppose qu’elle pensait me faire une faveur, me donner du plaisir. Ça n’a pas été le cas.
En cas d’abus de confiance, la relation de confiance que j’avais avec une personne est détruite, et une agression constitue un très grave abus. Je me suis senti violé et en danger.
Parfois, j’ai une érection dans la douche, quand l’auxiliaire me savonne autour des organes génitaux, mais ce n’est qu’une réaction physique et automatique. Ça n’indique pas que j’ai des sentiments pour l’auxiliaire. Les signes d’excitation physique ne signifient pas qu’il y a consentement, et c’est particulièrement important d’en être conscient quand il s’agit d’une personne handicapée.
En 2014, j’avais une auxiliaire prénommée Sarah qui m’amenait à me baigner dans un complexe récréatif près de chez moi les jeudis soir. Un soir, après m’avoir fait prendre ma douche, elle a elle-même pris sa douche. Sans gêne apparente, elle s’est savonnée devant moi. Instinctivement, j’ai détourné le regard pour respecter son intimité. Quelques secondes plus tard, elle m’a demandé : « Pourquoi est-ce que tu ne me regardes pas, Spencer? »
Est-ce que Sarah présumait qu’en raison de mes réactions physiques quand elle me faisait prendre ma douche, j’avais envie d’elle? Et le cas échéant, pourquoi l’a-t-elle présumé?
La communication est importante, surtout dans la relation entre un ou une auxiliaire et la personne pour laquelle elle travaille, parce que les contacts physiques sur des parties intimes du corps peuvent être nécessaires pour l’aider à se préparer pour sa journée. Nul doute que dans d’autres circonstances, si quelqu’un vous savonne le pénis, ça peut être considéré comme érotique. C’est pourquoi le consentement oral est encore plus important pour confirmer les impressions quand on aide une personne qui a un handicap. Aux États-Unis, chez les personnes qui ont un trouble neurodéveloppemental, 83 % des filles ou femmes et 32 % des garçons ont été victimes d’agression sexuelle.
J’ai toujours voulu vivre de façon autonome, alors il est déchirant de ne pas pouvoir faire confiance aux personnes qui m’aident à y parvenir. Après ces deux horribles expériences d’abus, je dois me demander si j’ai fait le bon choix.
Comme je suis reconnaissant envers les personnes qui m’ont aidé à vivre de façon autonome, pour beaucoup des raisons, il m’est difficile d’écrire ce texte. Je ne critique pas du tout le système d’aide à domicile en général. Cependant, j’ai l’impression que ce système a ses failles et qu’elles doivent être corrigées. Après avoir été agressé, je l’ai signalé, mais ce ne sont pas toutes les personnes dans ma situation qui le peuvent ou le veulent. C’est comme n’importe quelle personne ayant été agressée sexuellement : elle peut éprouver de la peur, de la honte, de la culpabilité.
En tant qu’adulte dans la mi-vingtaine vivant avec un handicap, se forger une identité est déjà assez compliqué. C’est encore plus complexe si l’on doit ajouter « ayant survécu à une agression sexuelle et à un traumatisme » à cette identité. La possibilité d’exprimer ma sexualité est très valorisante et contribue à mon identité d’homme — et non pas juste d’homme vivant avec un handicap. Comme mes auxiliaires s’occupent souvent de moi dans des situations intimes où je suis vulnérable, il est crucial pour moi d’établir, et pour les auxiliaires de respecter, la distinction entre les contacts physiques que j’ai dans ces situations et ceux que j’ai avec l’escorte que je vois.
Le consentement oral est le moyen par lequel je peux le faire, et, quand ce consentement n’est pas adéquatement obtenu, ou quand l’absence de ce consentement est ignorée, cette distinction est beaucoup plus difficile pour moi à établir. J’ai trouvé des mécanismes pour composer avec ma vulnérabilité, mais c’est très différent. Physiquement, il m’est presque impossible de me défendre contre une personne qui s’en prend à moi. Par conséquent, les personnes à qui l’on a confié la responsabilité de s’occuper de moi doivent comprendre et respecter mes limites. C’est la seule façon pour moi de protéger l’indépendance que j’ai tant travaillé à acquérir et à maintenir.