Témoignages : « Je suis parent… et handicapé »
Ils sont aveugles, tétra ou paraplégiques. Ils sont aussi parents. Quotidien, éducation… ils nous racontent leurs joies et leurs difficultés avec leurs enfants.
“Le plus dur, c’est le regard des autres”.
Hélène et Fernando, parents de Lisa, 18 mois.
“En couple depuis une dizaine d’années, nous sommes aveugles, notre fille est voyante. Nous sommes comme tous les parents, nous avons adapté notre style de vie à l’arrivée de notre enfant. Traverser la rue à l’heure de pointe avec une fillette débordante d’énergie, faire des courses dans un supermarché bondé, cuisiner, donner le bain, gérer les crises… Nous avons acquis avec brio ce changement de vie, à trois, dans le noir.
Vivre avec ses quatre sens
Une maladie congénitale nous a fait perdre la vue, vers l’âge de 10 ans. Un atout. Car avoir vu, représente déjà beaucoup. Vous ne pourrez jamais imaginer un cheval, ou trouver des mots pour décrire des couleurs par exemple, à quel-qu’un qui n’en jamais vus de sa vie, explique Fernando, la quarantaine. Notre labrador nous accompagne, à tour de rôle, au travail. Moi, je suis chargé de la stratégie numérique à la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France, Hélène est bibliothécaire. Si installer ma fille dans une poussette pourrait soulager mon dos, dit Hélène, ce n’est pas une option envisageable : tenir la poussette d’une main et ma canne télescopique de l’autre s’avérerait bien périlleux.
Si nous avions été voyants, nous aurions eu Lisa beaucoup plus tôt. Devenir parents, nous nous y sommes préparés avec sagesse et philosophie. Contrairement à des couples qui peuvent plus ou moins décider d’avoir un enfant sur un coup de tête, nous, nous ne pouvions pas nous le permettre, admet Hélène. Nous avons aussi eu la chance d’avoir un accompagnement de qualité durant ma grossesse. Le personnel de la maternité a vraiment réfléchi avec nous.” “Après, on se débrouille avec ce petit être dans les bras… comme tout le monde !” poursuit Fernando.
Une forme de pression sociale
“Nous n’avions pas anticipé le nouveau regard porté sur nous. Une forme de pression sociale, qui s’apparente à de l’infantilisation, s’est abattue sur nous”, estime Fernando. Le plus dur, c’est le regard des autres. Alors que Lisa n’avait que quelques semaines, de nombreux conseils nous avaient déjà été prodigués par des inconnus : “Attention à la tête du bébé, vous feriez mieux de le tenir comme ça…”, entendions-nous lors de nos promenades. C’est un sentiment très bizarre que d’entendre des étrangers remettre en cause, sans pudeur, votre rôle de parent. Le fait de ne pas voir n’est pas synonyme de ne pas savoir, met en avant Fernando ! Et pour moi, il n’est pas question d’être déconsidéré, surtout après 40 ans ! Je me souviens d’une fois, dans le métro, il faisait chaud, c’était l’heure de pointe, Lisa pleurait, lorsque j’ai entendu une femme qui parlait de moi : “Mais voyons, il va étouffer l’enfant, il faut faire quelque chose !”, criait-elle. Je lui ai dit que ses remarques n’intéressaient personne et que je savais ce que je faisais. Des situations blessantes qui semblent néanmoins s’atténuer avec le temps, depuis que Lisa marche.
Nous comptons sur la domotique
Alexa ou encore Siri nous rendent la vie plus facile, c’est certain. Mais quid de l’accessibilité aux non-voyants : en France, seuls 10 % des sites internet nous sont accessibles, 7 % des livres nous sont adaptés et sur 500 films qui sortent au cinéma chaque année, seulement 100 sont audiodécrits*… Je ne sais pas si Lisa sait que ses parents sont aveugles ? se demande Fernando. Mais elle a compris que pour “montrer” quelque chose à ses parents, elle doit le leur mettre dans les mains !
*Selon la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France
Je suis devenu tétraplégique. Mais pour Luna, je suis un papa comme les autres !
Romain, papa de Luna, 7 ans
J’ai eu un accident de ski en janvier 2012. Ma compagne était enceinte de deux mois. Nous habitions en Haute Savoie. J’étais pompier professionnel et très sportif. Je pratiquais le hockey sur glace, du trail, en plus de la musculation auquel tout pompier doit se soumettre. Au moment de l’accident, j’ai eu un trou noir. Au début, les médecins sont restés évasifs sur mon état. Ce n’est qu’à l’IRM que j’ai compris que la moelle épinière était vraiment abîmée. Sous le choc, les cervicales se sont cassées et je suis devenu tétraplégique. Pour ma compagne, ça n’a pas été facile : elle devait se rendre après son travail à l’hôpital à plus de deux heures de route ou au centre de rééducation. Heureusement, notre famille et nos amis nous ont beaucoup aidés, notamment en faisant les trajets. J’ai pu aller à la première échographie. C’était la première fois où j’arrivais à rester semi-assis sans tomber dans les pommes. J’ai pleuré d’émotion tout le long de l’examen. Pour la rééducation, je me suis donné comme objectif de revenir à temps pour m’occuper de ma fille après l’accouchement. J’ai réussi… à trois semaines près !
« Je regarde les choses du bon côté »
J’ai pu assister à l’accouchement. L’équipe nous a fait faire un long peau à peau en position semi-couchée en calant Luna avec un coussin. C’est un de mes plus beaux souvenirs ! A la maison, c’était un peu difficile : je ne pouvais ni la changer, ni lui donner le bain… Mais j’allais avec une aide à domicile chez la nounou où je m’installais sur le canapé durant une bonne heure avec ma fille jusqu’au retour de la maman le soir. Petit à petit, j’ai gagné en autonomie : ma fille était consciente de quelque chose, car elle ne bougeait pas du tout quand je la changeais, même si ça pouvait durer 15 minutes ! Puis j’ai eu un véhicule adapté. J’ai repris mon travail dans la caserne deux ans après l’accident, derrière un bureau. Quand notre fille a eu 3 ans, on s’est séparés avec sa maman, mais nous sommes restés en très bons termes. Elle est retournée en Touraine d’où nous sommes originaires, j’ai déménagé aussi pour continuer à élever Luna et nous avons opté pour la garde alternée. Luna ne m’a connu que handicapé. Pour elle, je suis un papa comme un autre ! Je continue les défis sportifs, comme le montre mon compte IG*. Elle s’étonne parfois des regards des gens dans la rue, même s’ils sont toujours bienveillants ! Notre complicité est très importante. Au quotidien, je préfère regarder les choses du bon côté : il y a plein d’activités que j’arrive à adapter pour les faire avec elle. Son moment préféré ? Le week-end, elle a le droit de regarder un long dessin animé : on s’installe tous les deux sur le canapé pour le regarder ! »
*https://www.instagram.com/roro_le_costaud/?hl=fr
« On a dû adapter tout le matériel de puériculture. »
Olivia, 30 ans, deux enfants, Édouard, 2 ans, et Louise, 3 mois.
À 18 ans, le soir du 31 décembre, j’ai eu un accident : j’ai basculé du balcon du premier étage de la maison d’amis en Haute-Savoie. La chute a fracturé ma colonne vertébrale. Quelques jours après ma prise en charge dans un hôpital de Genève, j’ai appris que j’étais paraplégique et que je ne marcherai plus jamais. Mon monde ne s’est pas écroulé pour autant, car je me suis immédiatement projetée sur l’avenir : comment allais-je faire pour relever les défis qui m’attendaient ? Cette année-là, en plus de ma rééducation, j’ai suivi mes cours de terminale et j’ai passé mon permis de conduire sur une voiture adaptée. Au mois de juin, j’avais mon bac et j’ai décidé de continuer mes études en Ile-de-France, où ma sœur de treize ans mon aînée s’était installée. C’est à la fac de droit que j’ai rencontré mon compagnon avec qui je suis depuis douze ans.
Très tôt, mon aîné a su se tenir debout
On a décidé d’avoir un premier bébé quand nos deux carrières ont été à peu près stables. Ma chance, c’est d’avoir été suivie dès le début par l’institut de Montsouris, spécialisé dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap. Pour d’autres femmes, ce n’est pas aussi simple ! Certaines mamans me contactent sur mon blog pour me dire qu’elles ne peuvent pas bénéficier d’un suivi gynécologique ou passer une échographie car leur gynéco n’a pas de table qui s’abaisse ! En 2020, ça paraît fou ! On a dû trouver du matériel de puériculture adapté : pour le lit, on a fabriqué un modèle surélevé sur mesure avec une porte coulissante ! Pour le reste, on a réussi à trouver des tables à langer et une baignoire sur pieds où je peux passer avec le fauteuil pour donner le bain seule. Très tôt, mon aîné a su se tenir debout pour que je puisse l’attraper plus facilement ou s’installer seul dans son siège-auto. Mais depuis qu’il est grand frère et qu’il est entré dans le “terrible two”, il se conduit comme tous les enfants. Il sait très bien faire la serpillière quand je suis seule avec lui et sa petite sœur pour que je ne puisse pas l’attraper. Les regards dans la rue sont plutôt bienveillants. Je n’ai pas de souvenirs de remarques désagréables, même quand je me déplace avec mon “grand” et la petite en porte-bébé.
Le plus dur à vivre : l’incivilité !
En revanche, l’incivilité de certains est assez dure à vivre au quotidien. Chaque matin, je dois partir 25 minutes plus tôt pour aller à la crèche qui n’est qu’à 6 minutes en voiture. Parce que des parents qui déposent leur enfant se mettent sur la place handicapée “juste pour deux minutes”. Or, cette place n’est pas seulement plus proche, elle est aussi plus large. Si elle est occupée, je ne peux pas me mettre ailleurs, car je n’aurais pas la place pour sortir ni mon fauteuil roulant, ni mes enfants. Elle est vitale pour moi et moi aussi, je dois me dépêcher pour me rendre au travail, comme eux ! Malgré mon handicap, je ne m’interdis rien. Le vendredi, je suis seule avec les deux et je les emmène à la médiathèque. Le week-end, on part faire du vélo en famille. J’ai un vélo adapté et le grand est sur sa draisienne. C’est top ! »